Le prĂ©sident de la RĂ©publique a remis, le 16 fĂ©vrier dernier, en toute discrĂ©tion, la LĂ©gion dâhonneur Ă Jeff Bezos, fondateur et prĂ©sident dâAmazon.
La présidente du Syndicat de la librairie française, Anne Martelle, a écrit au président de la République pour lui faire part de la stupéfaction et du mécontentement de notre profession.
Nous nous interrogeons en effet sur les raisons de cet honneur. Quels mĂ©rites au service de notre pays peuvent le justifierâ?
Pour nous, libraires,
Amazon contourne lâimpĂŽt
Amazon dĂ©truit plus dâemplois quâil nâen crĂ©e
Amazon organise une concurrence déloyale
Amazon contribue à la dévitalisation des territoires
Amazon nuit Ă lâenvironnement (multiplication des livraisons unitaires, surconsommation, artificialisation des sols)
Amazon Ă©chappe Ă de nombreuses contraintes et taxes qui pĂšsent sur les commerces physiques (assujettissement aux CDAC, moratoire sur les implantations, TascomâŠ)
Amazon sâoppose Ă la crĂ©ation de syndicats
Amazon combat le prix unique du livreâŠ
PrĂ©tendre quâAmazon contribue au dĂ©veloppement de lâemploi en France est un leurre. Nous rappelons au prĂ©sident de la RĂ©publique quâAmazon vient de licencier 18.000 de ses employĂ©s. Et ça nâest quâun dĂ©but puisquâil est le leader mondial de la robotisation industrielle conduisant Ă une automatisation Ă marche forcĂ©e de ses entrepĂŽts au dĂ©triment des emplois. Pour chaque emploi créé par Amazon, combien sont dĂ©truits dans les autres filiĂšresâ? Les liquidations rĂ©centes de plusieurs chaĂźnes du commerce non alimentaire devraient faire prendre conscience que le dĂ©veloppement de tels empires en ligne nuit, Ă terme, Ă lâemploi et non lâinverse.
En France, les libraires sont, Ă eux seuls, aussi nombreux que lâensemble des employĂ©s dâAmazon. Ă chiffre dâaffaires comparable, notre profession gĂ©nĂšre 9 fois plus dâemplois que cette multinationale. Lâemploi, câest en librairie et dans les commerces physiques, pas sur Amazonâ!
Dans le courrier adressĂ© au prĂ©sident de la RĂ©publique, nous indiquons que, loin dâĂȘtre rĂ©trograde, notre profession figure parmi les plus avancĂ©es du commerce en matiĂšre de prĂ©sence sur internet, avec plus de 1500 sites de rĂ©servation et de vente. Nous avons investi dans ces outils, encore davantage depuis la crise sanitaire, malgrĂ© le «âdumpingâ» dĂ©loyal dâAmazon sur les frais de port. Avec un soutien apportĂ© au plus haut niveau au leader de la vente en ligne, nous mesurons autrement la difficultĂ© Ă faire aboutir une rĂ©gulation vĂ©ritablement efficace de la concurrence sur ce sujet et, de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, entre les commerces physiques et les «âpure playersâ».
En nous battant quotidiennement pour la lecture, la culture, le lien social et nos territoires, nous apportons notre pierre Ă la construction dâune sociĂ©tĂ© libre, solidaire et plus durable. Et câest Ă ce titre que les librairies ont pu bĂ©nĂ©ficier dâun soutien public prĂ©cieux durant la crise sanitaire. Mais quand la plus haute autoritĂ© de notre pays honore un modĂšle Ă©conomique, social, environnemental et culturel aussi prĂ©dateur et contraire Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral que celui dâAmazon, cela nous choque et nous le ressentons comme une offense Ă notre travail et Ă nos engagements.