Comment les écouteurs bernent notre cerveau

Il suffit de les enfiler pour s’en rendre compte : les écouteurs ne sont pas faits pour être mis à l’envers. Avec les casques, en revanche, cela n’a pas d’importance à première vue. Mais en réalité, derrière le L et le R se cache toute une conception acoustique. Prenons un théâtre, par exemple. Tous les acteurs sur scène sont alignés juste devant vous, la voix de chacun couvrant celle des autres : c’est la mono. Maintenant, représentez-vous la même scène mais dans un grand espace : vous avez des voix à gauche, des mouvements à droite, et un écho venant de derrière. C’est la stéréo. Votre cerveau cartographie la musique, les films et les jeux de cette même manière : la guitare se trouve à gauche, la batterie à droite, la voix au centre. L’image sonore n’est pas créée sur scène, mais dans votre tête.

Il suffit de retourner le casque pour que la scène acoustique se déplace. Les pas qui devraient venir de la droite résonnent à gauche. Une voiture qui passe change de côté sur la route. Votre ouïe fonctionne parfaitement, mais votre cerveau est déstabilisé par les incohérences. C’est surtout important dans le cas de la musique orchestrale : les violons sont traditionnellement placés à gauche et les cuivres à droite. En cas d’inversion, c’est tout l’ordre familier qui s’effondre.

De plus, les casques modernes ont souvent une forme ergonomique qui les rend inconfortables en cas de port à l’envers. Les fabricants ne se contentent pas d’imposer des règles d’utilisation : ils définissent délibérément l’orientation du son.

La musique qui joue avec l’espace

Les musiciens se servent délibérément de cette séparation gauche/droite depuis des décennies. Les Beatles déplacent des couches sonores entières dans « Strawberry Fields Forever », offrant ainsi une expérience presque psychédélique pour les auditeurs de l’époque. Jimi Hendrix joue des riffs de guitare qui donnent l’impression de tourner dans votre tête dans « Purple Haze ». Les Pink Floyd ont transformé les caisses de supermarché en instruments spatiaux dans « Money ». Et Led Zeppelin fait flotter les voix dans l’espace dans « Whole Lotta Love ». Sans cette séparation entre L et R, tout cela ne serait rien de plus qu’une bouillie sonore. C’est grâce à L et R que la musique devient une scène qui joue dans la salle de concert de notre esprit. Voici quelques chansons (avec des liens vers Spotify) qui exploitent plutôt bien l’effet stéréo et pour lesquelles un casque est obligatoire :

  1. The Beatles – Strawberry Fields Forever
  2. Jimi Hendrix – Purple Haze
  3. Pink Floyd – Money
  4. Led Zeppelin – Whole Lotta Love
  5. Queen – Bohemian Rhapsody
  6. Daft Punk – Giorgio by Moroder
  7. Radiohead – Everything in Its Right Place

La prochaine étape : le son en 3D

La stéréo ne s’arrête pas là. L’audio spatial et le son 3D s’appuient précisément sur ce principe. Ils prolongent l’axe entre la gauche et la droite en profondeur et en hauteur. Cela est possible grâce au suivi de la tête et à des astuces psychoacoustiques : des différences infimes de durée de propagation, des réflexions subtiles, des décalages de fréquence infimes. La source sonore reste stable malgré les mouvements de la tête, comme si elle se trouvait réellement dans la pièce avec nous. Mais la sonorité reste stéréo. Sans la séparation disciplinée de la gauche et de la droite, il n’y aurait pas de base pour ancrer virtuellement le son dans l’espace.